« Ainsi commencée, la mise en œuvre du Marché
commun va donner lieu à un vaste déploiement d’activités, non
seulement techniques, mais aussi diplomatiques. En effet, l’opération,
indépendamment de sa très grande portée économique, se trouve
enveloppée d’intentions politiques caractérisées et qui tendent
à empêcher la France de disposer d’elle-même. C’est pourquoi,
tandis que la Communauté se bâtira dans les faits, je serai, à
plusieurs reprises, amené à intervenir pour repousser les menaces
qui pèsent sur notre cause. La première tient à l’équivoque
originelle de l’institution.
Celle-ci vise-t-elle – ce qui serait déjà beaucoup ! – à
l’harmonisation des intérêts pratiques des six Etats, à leur
solidarité économique vis-
à-vis
de l’extérieur et, si possible, à leur concertation dans
l’action internationale ? Ou bien est-elle destinée à réaliser
la fusion totale de leurs économies et de leurs politiques
respectives afin qu’ils disparaissent en une entité unique ayant
son Gouvernement, son Parlement, ses lois, et qui régira à tous égards
ses sujets d’origine française, allemande, italienne,
hollandaise, belge ou luxembourgeoise, devenus des concitoyens au
sein de la patrie artificielle qu’aura enfantée la cervelle des
technocrates ?
Il va de soi que, faute de goût pour les chimères, je fais mienne
la première conception. Mais la seconde porte tous les espoirs et
toutes les illusions de l’école supranationale. Pour ces
champions de l’intégration, l’ « exécutif » européen existe
déjà bel et bien : c’est la Commission de la Communauté économique,
formée, il est vrai, de personnalités désignées par les six
Etats, mais qui, cela fait, ne dépend d’eux à aucun égard.
A entendre le chœur de ceux qui veulent que l’Europe soit une fédération,
quoique sans fédérateur, l’autorité, l’initiative, le contrôle,
le budget, apanages d’un gouvernement, doivent désormais
appartenir, dans l’ordre économique, à ce chœur d’experts, y
compris – ce qui peut être indéfiniment extensif – au point de
vue des rapports avec les pays étrangers.
Quant aux ministres « nationaux », dont on ne peut encore se
passer pour l’application, il n’est que de les convoquer périodiquement
à Bruxelles, où ils recevront dans le domaine de leur spécialité
les instructions de la Commission.
D’autre part, les mêmes créateurs de mythes veulent faire voir
dans l’Assemblée, réunissant à Strasbourg des députés et des
sénateurs délégués par les Chambres des pays membres, un «
Parlement européen », lequel n’a, sans doute, aucun pouvoir
effectif, mais qui donne à l’ « exécutif » de Bruxelles une
apparence de responsabilité démocratique ».
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